1.1 Principes de base
Rappelez-vous, la classification sert à regrouper les individus d’un jeu de données en différents groupes ou classes. Lorsque vous avez utilisé la classification hiérarchique ou le dendrogramme, vous avez réalisé de la classification non supervisée. La classification non supervisée permet de choisir des classes librement sur base de l’information contenue dans le jeu de données.
Nous allons aborder maintenant la classification supervisée. La classification supervisée permet d’utiliser un ordinateur pour lui faire apprendre à classer des objets selon nos propres critères que nous spécifions par ailleurs (“machine learning” en anglais). Par exemple, en biologie, nous sommes amenés à classer le vivant (la fameuse classification taxonomique selon la nomenclature binomiale de Linné). Nous pourrions être amenés à nous faire seconder par un ordinateur pour classer nos plantes en herbier, nos insectes en collections, … ou nos photos d’oiseaux ou de poissons. A partir du moment où nous pouvons collecter ou mesurer différents caractéristiques quantitatives ou qualitatives sur chaque individu, et que pour certains, nous en connaissons le nom scientifique, la classification supervisée pourrait être utilisée pour classer automatiquement d’autres individus, uniquement sur base des mêmes mesures.
Un jeu de données est composé d’observations (les lignes du tableau) et de variables (les colonnes du tableau) sur ces observations. En classification supervisée, les observations se nomment les items (nos différents spéciments de plantes, insectes, …) et les variables se nomment les attributs (les variables quantitatives ou qualitatives mesurées sur chaque spécimen).
En taxonomie assistée par ordinateur, nous cherchons donc à accélérer le dépouillement de gros échantillons en identifiant de manière automatique (ou semi-automatique) la faune et/ou la flore qui le compose. L’approche la plus souvent employée est l’analyse d’image pour mesurer des caractères visuels sur ces photographies. Il s’agit donc d’une reconnaissance sur base de critères morphologiques. Les organismes qui composent la faune et/ou la flore sont les items et les critères morphologiques sont les attributs. Vous avez certainement déjà rêvé d’avoir quelqu’un qui fait vos identifications à votre place… pourquoi pas votre ordinateur ?!
Parmi tous les items, on va choisir un sous-ensemble représentatif que l’on classe manuellement sans erreur. On obtient donc un ensemble de groupes connus et distincts. On va diviser ce sous-ensemble en un set d’apprentissage pour entraîner l’algorithme de classification, et un set de test pour en vérifier les performances.
La classification supervisée va se décomposer en réalité en trois phases.
Apprentissage : un algorithme est entrainé (paramétré) pour classer les items sur base du set d’apprentissage.
Test : les performances de l’outil de classification (on dit aussi, le classifieur) sont évaluées à l’aide du set de test.
Déploiement : si le classifieur obtient des performances satisfaisantes, il est utilisé pour classer automatiquement tous les autres items du jeu de données.
Il y a de très nombreux domaines d’applications de ces techniques de classification supervisée de type “machine learning”. Par exemple en médecine, ces techniques s’utilisent pour analyser les mesures effectuées par un scanner, un système de radiographie aux rayons X, un électrocardiogramme ou électroencéphalogramme, … pour y détecter des anomalies. Votre moteur de recherche favori sur Internet utilise ces techniques pour classer les pages en “pertinentes” et “non pertinentes”. La reconnaissance vocale ou de l’écriture manuscrite entrent dans cette catégorie également, de même que l’analyse de sentiment sur base de texte (quelle est l’état d’esprit de l’auteur du texte sur base des mots et expressions qu’il utilise). Il faut s’attendre à ce que dans quelques années, des algorithmes plus efficaces, et des ordinateurs plus puissants pourront effectuer des tâches aujourd’hui dévolues à des spécialistes, comme le médecin spécialisé en radiographie pour l’exemple cité plus haut. Nous sommes même à l’aube des véhicules capables de conduire tous seuls, sur base de l’analyse des images fournies par leurs caméras !
1.1.1 Conditions d’application
Ces outils ont très certainement éveillé votre curiosité. Imaginez qu’à l’avenir il ne sera peut plus utile d’apprendre la classification des bourdons. Un ordinateur pourra le faire à votre place.
Il y a néanmoins certaines conditions d’application à satisfaire préalablement afin de pouvoir utiliser efficacement le “machine learning” :
Tous les groupes sont connus et disjoints. Chaque item appartient à une et une seule classe (sinon, refaire un découpage plus judicieux des classes). Un individu ne peut appartenir simultanément à deux ou plusieurs classes, et nous ne pouvons pas rencontrer d’items n’appartenant à aucune classe. Éventuellement rajouter une classe fourre-tout nommée “autre” pour que cette condition puisse être respectée.
La classification manuelle est réalisée sans erreur dans les sets d’apprentissage et de test. C’est une contrainte forte. Vérifiez soigneusement vos sets avant utilisation. Éventuellement, recourez à l’avis de plusieurs spécialistes et établissez un consensus, ou éliminez les cas litigieux… mais attention alors à ne pas déroger à la condition suivante !
Toute la variabilité est représentée dans le set d’apprentissage. Vous devez vous assurer de rassembler les individus représentant toute la variabilité de chaque classe pour la phase d’apprentissage (et si possible de test aussi).
Les mesures utilisées sont suffisamment discriminantes entre les classes. Vous devez vous arranger pour définir et mesurer des attributs qui permettent de séparer efficacement les classes. Vous pourrez le constater visuellement en représentant, par exemple deux attributs quantitatifs sur un graphique en nuage de points, et en y plaçant les items en couleurs différentes en fonction de leur classe. Si des regroupements bien distincts sont visible sur le graphique, vous êtes bons, … sinon c’est mal parti. Utilisez éventuellement des techniques comme l’analyse des composantes principales (ACP) pour visualiser de manière synthétique un grand nombre d’attributs. L’ingénierie et sélection judicieuse des attributs est une partie cruciale, mais difficile de la classification supervisée de type “machine learning”. L’apprentissage profond (“deep learning”) tente de s’en débarrasser en incluant cette partie du travail dans le programme d’apprentissage lui-même.
Le système est statique : pas de changement des attributs des items à classer par rapport à ceux des sets d’apprentissage et de test. Des situations typiques qui peuvent se produire et qui ruinent votre travail sont un été particulièrement chaud et sec par rapport aux saisons pendant lesquelles des plantes ont été prélevées pour le set d’apprentissage. Par conséquent, vos fleurs ont des caractéristiques morphologiques différentes suite à cette longue canicule et sont donc moins bien, voire, totalement mal classées. Un autre exemple serait le changement d’appareil d’IRM qui donne des images légèrement différentes du précédent. Le set d’apprentissage du premier IRM ne permet alors peut-être pas de créer un classifieur capable de classer valablement les analyses réalisées avec le second appareil.
Toutes les classes ont des représentants dans les sets. Il parait assez évident que si le set d’apprentissage ne contient aucun item pour une classe, l’algorithme de classification nevpeut pas être entrainé à reconnaitre celle classe-là. Par contre, il est également indispensable que le set de test soit pourvu d’un minimum d’items par classe, afin d’établir correctement une estimation des performances du classifieur pour chaque classe. attention avec une répartition aléatoire entre apprentissage et test pour des très petits peus de données à ce que cette situation n’apparaissent pas par le biais du hasard.
En pratique, ces conditions d’application ne sont pas remplies strictement dans les faits, mais le but est de s’en rapprocher le plus possible. Par exemple, il est impossible en pratique de garantir qu’il n’y ait absolument aucune erreur dans les sets d’apprentissage et de test. Si le taux d’erreur reste faible (quelques pourcents voire encore moins), l’impact de ces erreurs sera suffisamment négligeable. Par contre, avec 20 ou 30% d’erreurs, par exemple, nous ne pourrons plus travailler valablement.